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Dans l’histoire de la littérature, la figure de l’écrivain maudit, génie incompris condamné à la misère avant de connaître une gloire, tient tant de la réalité historique que du fantasme romantique. Balzac mourut effectivement accablé de dettes après des décennies à chercher la gloire et la fortune, Allan Poe vécu toute sa vie dans la pauvreté avant de connaître une gloire posthume et Zola passa lui aussi de nombreuses années dans la misère. Cependant, l’image de l’écrivain sans le sou est avant tout une figure moderne. Demeure néanmoins chez les écrivains d’aujourd’hui une relation complexe à leur rémunération.
Réservée pendant longtemps à une élite aristocratique, l’écriture était avant tout un loisir auquel se livraient les grandes figures intellectuelles des cours européennes, les d’Aubigné, les La Rochefoucauld, les Montesquieu, les Chateaubriand, qui illuminaient leur époque de leurs pensées. Pour ces illustres auteurs, la question de la rémunération se posait peu, puisqu’ils détenaient chacun des patrimoines personnels liés à leur noblesse. Cependant, grâce à la révolution de l’imprimerie et aux progrès des Lumières, commencent à apparaître des écrivains d’une nouvelle trempe, issus du peuple, des Molière et Rousseau. Avec la naissance de l’édition, la question de la fortune devient pour les écrivains professionnels à la fois objet de désir et de tabou.
Car l’écrivain, comme de nombreuses professions artistiques, entretien un rapport paranoïaque à l’argent. S’il rêve de pouvoir vivre de sa plume, voire de s’en enrichir, dans la réalité l’écrivain a souvent du mal à faire rémunérer son travail à sa juste valeur. L’édition reste en effet aujourd’hui l’une des seules industries créatives à ne pas se reconnaître comme une industrie et à rester opaque sur la rémunération de sa matière première : les auteurs. Si quelques auteurs stars peuvent gagner des fortunes, pensons par exemple à J.K Rowling, auteure de la saga Harry Potter, écrivaine la mieux payée du monde avec 96Mo d’euros gagnés en 2016, l’immense majorité des écrivains peine à vivre de sa plume. En France, le système de rémunération des auteurs est particulièrement opaque, reposant tant sur les talents artistiques d’un auteur, sur sa renommée, que sur sa capacité de négociation avec les maisons d’éditions. Un écrivain en France est rémunéré sur deux sources de revenus : les droits d’auteur, un pourcentage sur les ventes, et les à-valoir, une rémunération versée en avance par la maison d’édition sur le succès espéré du livre. Classiquement, un contrat de droit d’auteur avec une maison d’édition française repose sur la règle des 8/10/12 pour les droits d’auteur : pour 10.000 livres vendus, l’auteur touchera 8% des ventes, entre 10.000 et 20.000, il en touchera 10% et 12% au-dessus de ce seuil.
Certains auteurs en vogue comme Jean D’Ormesson toucheraient néanmoins des chiffres avoisinant les 18% grâce à leurs négociations avec les maisons d’édition.
Si dans l’idée ce système de rémunération devrait permettre aux auteurs de vivre de leur plume, dans la réalité, une toute petite proportion d’entre eux parvient ne serait-ce à compenser leurs frais. Sur les 40 000 titres publiés par an en moyenne en France, 50% d’entre eux, seulement, s’écouleraient à plus de 500 exemplaires, et 1% dépasserait le seuil des 2 000 exemplaires vendus. La tendance décroissante du marché du livre, la surproduction éditoriale et la surconsommation des succès d’édition concourent donc à précariser d’autant plus le métier d’écrivain, fondé sur des revenus incertains et aléatoires. Pour compenser cette dynamique, de nombreux éditeurs ont donc fait de l’à-valoir un mode de rémunération discret, dont le montant est rarement connu, permettant de rémunérer un auteur selon des conditions négociées entre les deux parties prenantes.
Force est néanmoins de conclure qu’écrivain n’est pas un métier comme les autres : s’il attire par le prestige qu’il peut conférer, il est aussi un réservoir de relations conflictuelles, avec l’argent notamment. Sans l’apport d’une autre source de capital alternative (patrimoine, second métier…), de nombreux écrivains contemporains vivraient dans la misère. Pour nombre d’entre eux d’autres alternatives restent possible : vente de droits dérivés, notamment audiovisuels, bourses, aides de l’état, etc. Reste néanmoins que le métier est avant tout une profession artistique, par nature à risque, conditionnée par le talent de l’auteur et sa capacité à promouvoir son œuvre.